SHUANGHE 400 : BILAN DE L’EXPÉDITION EN CHINE

BARTHOLEYNS Jean-Pierre, BOTTAZZI Jean, FAVERJON Marc, HUGON Bruno

Ci dessus Galerie du Far West – Bojiyandong                                        Photo Bertrand Hauser

jp.bartholeyns@gmail.comjbottazzi@laposte.net marc.faverjon@yahoo.com –  bruno.hugon@orange.fr

Introduction

«SHUANGHE 400», la 22e expédition scientifique internationale dans le réseau de Shuanghedong, Suiyang, Guizhou a été organisée sur l’initiative concertée du géoparc national de Shuanghedong et de Shierbeihou (Twelve Backs Tourism Development Co., Ltd., en charge du développement touristique).

  • en partenariat avec le Guizhou Institute of Mountain Resources, GIMR et le Guizhou Cave Association, Guizhou Tourism Geoscience Society,
  • grâce à l’invitation de l’Académie des sciences du Guizhou,
  •  avec le parrainage de l’Union Internationale de spéléologie (UIS), de la Fédération européenne de spéléologie (FSE), de la Commission des relations internationales et des expéditions – CREI de la Fédération française de spéléologie (FFS), et de la Société italienne de spéléologie (SSI)
  •  avec le sponsoring de SCURION via la FSE.

Elle s’est déroulée du 16 septembre au 8 octobre 2023, sur et sous le massif de Shuanghe qui est situé sur le district de Suiyang, Zunyi, province du Guizhou en Chine,

Shuanghe 400 n’a pas bénéficié des meilleures conditions météorologiques. Une forte motivation et une allure régulière, acharnée, a permis de tirer le meilleur des objectifs accessibles en toute sécurité.

Explorations

Duiwodong

Le tiānkēng de Duiwodong laissait espérer une extension du réseau au nord/est. Hélas, les 3 principaux points d’interrogation du secteur n’ont pas remplis nos espérances. L’affluent en aval du siphon de la rivière du 500 m nage libre (300 l/s) a butée sur un siphon suspendu faiblement alimenté au bout de 260 mètres. L’affluent du Mâconnais a, lui aussi, buté rapidement sur un grand puits remontant. La galerie fossile de l’amont des Croûtes (350 m) s’est soldée par 4 arrêts différents sur des étroitures impénétrables bien ventilées, produites pour 3 d’entre elles par des coulées de calcites, et une étroiture en voûte mouillante pour la dernière.

L’aval de la petite rivière des Croûtes a bouclé au bout de quelques centaines de mètres avec le réseau connu.

Dans la paroi ouest du tiānkēng, face à notre ligne de descente, un semblant départ de galerie attirait notre attention. Il a été atteint après avoir été ouvert intégralement sur 800 mètres à la machette dans de très raides pentes envahies par des bambous et épineux variés. Il s’en est suivi une descente sur corde de 30 mètres enchaînant sur une vire. Grosse déception de constater que la galerie convoitée n’était qu’un petit puits remontant impénétrable au flanc éventré !

Par ailleurs, le seul problème de bouclage topo de tout le réseau a été résolu en refaisant quelques centaines de mètres de relevés.

Le développement ajouté à la topographie de Duiwodong est de 1319 m.

Les espoirs d’extension du réseau vers Zheng’an par Duiwodong résident désormais dans une branche aval non ventilée de la rivière.

Xiujiandong (traversée des Elagueurs)

Lors de l’ouverture du sentier d’accès évoqué ci-dessus, nous sommes tombés dans le fond d’un ravin sur une petite ouverture au courant d’air aspirant. Un petit réseau sympathique avec un P14, et de 219 m de développement nous a permis de ressortir à l’extérieur, dans un beau canyon, juste au sommet de la grande cascade ouest qui se jette dans le tiānkēng de Duiwodong.

Bien que située sans doute au-dessous du seuil de déversement du tiānkēng, les 219 m topographiés dans cette cavité ne seront pas comptabilisés dans le développement du réseau de Shuanghedong.

Bojiyandong

Les explorations à Bojiyan ont été facilitées et sécurisées par la pose de cordes sur l’accès qui présente des vires et désescalades faciles mais exposées. La trémie désobstruée à -100 a été re-calibrée et ne présente plus d’étroiture sélective.Nous avons descendu le P60 (en fait un P45) pour retomber dans les plafonds de la grosse galerie retrouvée. Coté aval elle bouclait avec la zone du P20 où plusieurs puits sans suite ont été descendus. Seul le rayon du laser est passé au-dessus des puits, nous épargnant un dur labeur. Coté amont, la grande galerie retrouvée (galerie du Cap Nord) a été suivie sur 800 mètres, après avoir dû traverser le grand puits du Coup de Bambou, et passer un passage très bas dû à une trémie et à un amas d’argile.

ci dessus Galerie du Cap Nord – Bojiiyandong        Photo Bertrand Hauser

Une petite rivière latérale a été remontée jusqu’à un puits remontant arrosé. Le terminus exploré est un nouveau grand puits, descendu partiellement et en face duquel la galerie pourrait peut-être se poursuivre ?

Ces découvertes ouvrent sur des zones «blanches » à l’ouest du réseau.

Une autre galerie latérale, la galerie de la Chauve-souris a été parcourue sur plus de 700 m après le franchissement de plusieurs petits puits en vire. La partie terminale qui bute sur des bouchons de calcite est particulièrement concrétionnée.

Lors d’une journée avortée à cause d’une crue quelques prolongements ont été topographiés dans un enchevêtrement de petites galeries.

Salle de la Da coupole – Huoyangping                                                     Photo Bertrand Hauser

Un autre gros objectif à Bojiyan était le « P110 » situé vers -120 m au terminus de la galerie d’entrée. Il s’agit en fait d’un P240 ! (220 m depuis le palier d’accès). Le puits arrosé a été équipé hors crue, ce qui se traduit par «dans la boue !». Un pendule acrobatique à 25 m du fond a permis de rejoindre une galerie fortement ventilée qui a été parcourue sur environ 300 m, arrêt sur pincement de la fracture. Le réseau est un des plus «chers» de la Shuanghe !

Dans ce puits, le long réseau qui débute en lucarne a fait l’objet d’un début de déséquipement.  Une branche a été découverte à cette occasion qui reste à poursuivre. 

Développement ajouté à Bojiyan = 4697 m

Huoyangping

La branche la plus à l’ouest, où l’exploration était arrêtée sur un P30 au sommet d’un grand vide, a été poursuivie par la découverte de deux grandes salles de 150 x 120 mètres et de 120 x 80 mètres. Des galeries chaotiques ont été poursuivies de part et d’autre, mais elles butent assez rapidement sur des colmatages ne laissant aucun espoir de suite. A noter que cette découverte nous rapproche grandement de l’aval de la galerie du Far-West de Bojiyan, qui semble en constituer le prolongement.

L’escalade, commencée en 2019, d’un affluent au-dessus des grands puits (P200), a été terminée. Après 35 mètres d’escalade bien arrosée, la petite rivière du SMIC (c’est le prix qu’on estime avoir été payé pour l’escalade) à été poursuivie sur quelques centaines de mètres, jusqu’à une trémie avec radicelles. Dans une petite galerie latérale, l’exploration reste à poursuivre.

Dans la branche d’accès aux grandes salles, l’enchaînement de 2 puits de 17 et 60 mètres n’a pas permis de terminer cette branche qui se poursuit par un P50 non descendu.

Peu avant les grandes salles un P30 a été descendu, avec pour seule suite des puits fissures impénétrables.

Développement ajouté à Huoyangping = 1468 m

Hongdingyan

Entre le P36 et le P18, un P25 fractionné au départ boueux a livré accès à la rivière de la salamandre. Ce beau méandre caractérisé par de grandes marmites continue. La météo faisant craindre des orages, l’exploration a été interrompue au niveau d’un petit affluent arrosant un passage en opposition.

Développement ajouté à Hongdingyan : 168 m

Hors réseau… pour l’instant

A l’extrême sud, mais non connectée au réseau, une traversée  de 2,5 km avait été réalisée en 2019 entre Liangfengdong et Liangfengshangdong. En rentrant par cette 2 ème cavité, les plafonds où subsistaient d’éventuels points d’interrogation, ont été auscultés minutieusement, permettant de clore définitivement tout espoir de suite. Dans le même ordre d’idée et dans le même secteur, la grotte Dawandong a été ré-inspectée pour être définitivement classée comme terminée.

La fin de l’expé nous a conduit à Zheng’an , à Mawangdong, entrée inférieure du réseau de Jishedafengdong, une cavité qui semble aujourd’hui ne pas pouvoir rejoindre le réseau de Shuanghedong. Le franchissement d’une escalade de 8 m nous a notamment permis d’explorer plus de 700 m de galeries chaotiques en direction du sud-est tandis que la rivière poursuit sa course à la profondeur de-334 m.

 Développement ajouté à Jishedafengdong  : 1118 m (développement total : 6830 m).

Dayingyandong, une cavité connue depuis 2023 a été poursuivie. Cette résurgence dans le poljé de Ranghui ne rejoindra jamais le réseau de Shuanghedong mais peut livrer un beau système sous le massif voisin de Kuankuoshui. Cette exploration a permis de détecter et corriger trois grosses erreurs dans le pointage des grottes du poljé de Rangshui qui alimente le réseau de Shuanghedong par la perte de Dadong.

Des prospections systématiques ont été conduites. Sept autres cavités, de moins de 200 m de développement chacune, totalisent 743 m de développement et complètent nos informations sur la karstification de la partie haute et de la bordure nord-ouest du massif sous lequel se développe le réseau de Shuanghedong. On notera notamment la grotte de Goujiadang qui, à 1640 m d’altitude, est la plus haute des cavités en exploration du secteur.

Enfin, une toute petite entrée perdue dans la montagne, Xiutanqidong (Snifette),  a été parcourue sur 284 m. Elle pourrait devenir une des nombreuses têtes de réseau de Shuanghedong.

Shuanghedong Réseau, 09/2023: 415 km, -912 m. Jean Bottazzi, Marc Faverjon, Jo De Waele

Résumé des explorations en quelques chiffres :

10112,02 m topographiés en tout dont 7386,01 m dans Shuanghedong.

Le réseau de Shuanghedong à la fin de l’expédition affichait un développement de 414062 m pour une profondeur (inchangée) de 912 m.

Observations scientifiques

Jo De Waele et Wang Deyuan ont focalisé leurs efforts sur l’observation et l’échantillonnage de roches dans des cavités telles que Pixiaodong, Bojiyan, Shanlingdong, Hejiaodong, Liucaoguxiadong, Mawangdong et Datutianjiaodafengdong  pouvant éclairer la question de la genèse du réseau. Les sites ont été sélectionnés principalement en fonction de la présence de gypse et de célestite et de la position par rapport aux strates de schistes.

Croûte de gypse (blanc) couvrant la célestine (Blue) – Pixiaodong        Photo Jo De Waele

La participation des spéléologues

L’équipe de base a réuni 8 spéléologues européens dont 5 Français : Jean Bottazzi, Marc Faverjon, Bertrand Hauser, Bruno Hugon, Gilles Connes  ; un Portugais : Carlos Placido, et deux Belges : Jean-Pierre Bartholeyns et Jo De Waele.

L’équipe d’expédition est composée et organisée autour de différentes compétences adaptées aux exigences de l’organisme qui nous invite : spéléologues, instructeurs en techniques de spéléologie, topographe ayant aussi des connaissances en géologie, cristallographie, informatique, cartographie, photographie et protection du karst. Chaque jour, ils ont travaillé en trois ou quatre équipes autonomes, selon l’importance et la difficulté des objectifs à atteindre et déterminés par la connaissance du terrain et les analyses topographiques. Relativement nombreux lors de cette expédition, des spéléologues chinois ont parfois été intégrés aux équipes d’exploration. Ils ont été plus de 27 dont Li Po, He Wei, Qian Zhi, Zhou Wenlong, Wang Deyuan, Zhang Kaiqi, Zhao Zhongguo, Zhao Fei, Ye Rurui, Liu Jia, Gao Zhan Dong, Wang Qiaoneng, Wang Sunhong, Wang Liangtong, Zhang Hongzhi, Luo Shuwen, Lorue, Kriss, Chao Jian, Yuan Na, Wuhai Bo, Hui Changwang, Wang Yong, Wang Rong, Shi Yichen, Tom.

Le temps passé sous terre par l’ensemble des participants atteint un total de 1059 heures, en ce non comptées les heures, non négligeables, passées à prospecter avec l’aide des volontaires locaux et qui ont permis la localisation de nouvelles entrées de grottes. Les renseignements ainsi glanés lors de ces journées de prospection sont précieusement archivés et géolocalisés sur carte. Leur interprétation permet une meilleure connaissance générale de la zone karstique étudiée.                                                                                                                           

Stage de formation

Mettant fin à 3 années d’interruption, la tradition des stages de formation à la spéléologie a été relancée. Treize stagiaires y ont participé. Nous avons été surpris par le niveau d’autonomie d’un bon nombre d’entre eux.

Conclusion et perspectives

La question prioritaire à laquelle cette expédition voulait répondre, à savoir les possibilités d’extension sous le karst de Zheng’an situé au nord-est, a trouvé une réponse déplaisante : ce ne sera pas facile du tout.

Par contre, le «blanc de la carte» au nord-ouest présente un potentiel suffisant pour épuiser bien des spéléologues. Bien que le grignotage systématique conduit par conduit constitue dorénavant la méthode d’investigation la plus efficace, des découvertes comme la galerie du cap nord montre que de grandes galeries peuvent encore être découvertes et offrir des avancées spectaculaires. 

L’expédition «Shuanghe 400» a bénéficié d’une très large couverture médiatique tant dans la presse écrite que sur les plus importantes chaîne télévisées chinoises. Elle a également fournit un cadre pour un reportage sur les expéditions spéléologiques franco-chinoises en tant que modèle de réussite par l’amitié et la coopération.

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