La mise à disposition des comptes rendus d’expédition par la FFS : une question délicate

 

La CREI et la Fédération Française de Spéléologie ont constitué la plus belle, ou du moins l’une des plus belles bibliothèque de rapports d’expéditions spéléologiques au monde.

Chacun peut en prendre connaissance en allant au siège, 28 rue Delandine à Lyon, le site de la CREI disposant depuis peu d’un logiciel permettant d’explorer la liste des documents disponibles, 1726 expéditions sont ainsi recensées, toutes n’ayant pas publié quelque chose.

sitecrei

http://crei.ffspeleo.fr/Expeditions/listeExpes.php

L’intérêt, pour les spéléos du monde entier, d’avoir accès à ces informations sur les expéditions a été repéré très tôt. L’IUS (Union Internationale de Spéléologie) et la FSE (Fédération Européenne de Spéléologie) se sont donc associées pour définir les bases de ICE DB (Base de données d’expéditions spéléologiques internationales). Il y a quelques mois la FSE a signé une convention avec l’association Wikicaves afin de lui confier la mise en oeuvre technique de cette base de donnée, la FSE se chargeant d’organiser la récupération des documents et la gestion du respect du droit d’auteur.

C’est sur ce point que la FFS et la FSE butent actuellement. Si la FFS peut légalement permettre la lecture des rapports qui lui ont été remis pour cela, cela ne signifie nullement que les auteurs soient d’accord pour que leur travail soit numérisé et mis en ligne. Le fait de rechercher l’ensemble des personnes qui ont contribué à la rédaction des documents qui sont dans le rapport et d’obtenir un accord formel afin de publier leur travail sur Internet semble être irréalisable.

Certains membres de la FFS militent pour l’idée que l’intérêt commun (la diffusion de l’information sur les Expés) doit primer le droit d’auteur et qu’il convient de diffuser ces rapports sans autorisation particulière. C’est oublier que nous sommes dans un état de droit et que les lois sont là pour indiquer comment les choses doivent être envisagées. Une fédération, gestionnaire pour le compte de l’État d’une activité sportive, ne peut pas avoir une action contraire aux lois de cet État.

Une solution qui a été mise en place durant quelques années consistait à mettre une case sur le formulaire de parrainage de l’Expé par la FFS qui était basée sur le principe de l’Optout : si la case n’était pas cochée la FFS pouvait alors publier le rapport. Mais cette disposition souffre de 2 insuffisances très importantes :

  • Respecter le droit d’auteur, c’est obtenir l’autorisation formelle de l’auteur, on ne peut considérer le fait qu’une case soir non cochée comme un accord de l’auteur.
  • Il faut aussi considérer que le droit d’auteur est un droit individuel, chaque auteur devant donner son assentiment, une personne ne peut s’engager au nom de toutes les autres.

Depuis quelques mois, un début de solution a été trouvé. Elle est imparfaite car elle nécessitera un travail d’explication et ne permettra d’obtenir des résultats tangibles que dans un temps assez long. De plus, cela ne résoudra pas le problème concernant les rapports déjà édités.

Il s’agit de proposer aux personnes qui contribuent à la rédaction du rapport d’apposer sur celui-ci une mention indiquant qu’il est placé sous une licence libre, le formulaire de demande de parrainage l’indique désormais.

http://crei.ffspeleo.fr/Telechargement/Doc-Parrainage.pdf

Afin de présenter les licences libres un document a également été élaboré et mis en ligne sur le site de la CREI :

http://crei.ffspeleo.fr/Telechargement/licences-CC.pdf

Des échanges ont eu lieu sur la liste de diffusion de la CREI et certains participants ont exprimé de vives réserves : notre travail va être pillé et des personnes vont s’enrichir en l’utilisant… ce qui a été mis en place fonctionne très bien, pourquoi tout casser ? Votre proposition va inciter les spéléos à ne plus diffuser leurs rapports … ect.

Nous espérons que ce billet va contribuer à apporter des réponses, et, si une autre solution, élaborée dans le respect des lois, pouvait être envisagée, nous sommes preneurs de l’information.

 

 

Nouvelles de Chine !

Quelques nouvelles de Chine, en provenance de l’expédition franco-chinoise parrainée par la FFS, Shuanghedong 2014.

Après la première semaine d’expédition, les 9 spéléos français viennent de passer la barre des 161 km de développement pour le système de Shuanghedong.

C’est en poursuivant l’exploration de Liangfengdong (la grotte du vent frais), que le réseau s’est ouvert vers l’ouest et que la jonction au réseau de Shuanghedong a été faite.

Le tube fossile de Shalingdong

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L’exploration de la grotte Liangfengdong a débuté en 2005, et s’était arrêtée dans un méandre étroit très abrasif, après un puits de 285 mètres de profondeur. Personne n’était retourné sur la zone depuis, à cause des difficultés d’accès. Cette année, après avoir rééquipé le puits géant, deux séances d’explo éprouvantes ont permis d’avancer de près de 2 kilomètres dans une méandre étroit et tortueux vers le réseau principal. L’arrêt topo était au sommet d’un puits. La jonction a été effectuée par le bas, via la méga-doline de Longtanzi. Une navigation en canot sur les lacs souterrains a permis d’atteindre le terminus amont du réseau Zephir. De là, les explorateurs ont remonté en suivant le courant d’air, pour finalement arriver de manière inattendue au sommet du puits vu la veille.

Progression en oppo dans Xinjiawanliangfengdongolivier-oppo-xinjiawan

Cette barre permet à la grotte de gagner la 11e place dans le classement des plus longues cavités du monde, et cela réjouit beaucoup les partenaires chinois. La télévision nationale est venue quelques jours interviewer tout le monde.

Il reste encore deux semaines d’expédition, et d’autres beaux gouffres à explorer pour l’équipe.

Olivier Testa

Expédition PSCJA, Jean Bottazzi, Eric David,Jean-François Fabriol, Nicolas Faure, Carole Jallibert, Alain Maurice, CarlosPlacido, Eric Sanson et Olivier Testa

Les milliers de concrétions en « choux-fleurs » qui tapissent la galerie de jonction sur plusieurs centaines de mètres

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Relations internationales : « Berger 2014, continuons le grand nettoyage d’été »

s’est déroulé cet été du 20 au 30 juillet au camping « le Vercors » à Autrans.

L’objectif était la poursuite du rééquipement du gouffre (mains-courantes hors d’usage en dessous de -650 m), et de l’évacuation des déchets d’exploration. Mais aussi bien sûr une rencontre conviviale entre spéléos de divers horizons.

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« Berger2014 », cliché Robbie Shone

Pour ce qui est de l’aspect international du rassemblement, c’est une nouvelle réussite : 138 spéléos inscrits, dont la moitié d’étrangers en provenance de dix pays européens : Portugal, Espagne, Hongrie, Pologne, Luxembourg, Belgique, Bulgarie, Slovénie, Grande-Bretagne, Pays-Bas. Pas de clubs hors Union Européenne cette année.

Le bilan du rééquipement est par contre un échec. Les conditions météos épouvantables n’ont permis qu’à une poignée de spéléos de descendre au-delà de -600 m. Aucune corde en place n’a été changée. Tout reste à faire…

Heureusement, le gouffre est resté accessible six jours jusqu’à -600. 120 personnes environ ont pu y accéder, et la plupart ont contribué à l’évacuation des déchets, achevant ainsi l’opération initiée en 2013. On peut dire aujourd’hui que de l’entrée au bivouac de la salle des Treize, le Berger est débarrassé de la quasi-totalité des déchets d’exploration.

C’est bien là la réussite de ce rassemblement « Berger2014 » : la frustration de n’avoir pas atteint le fameux moins mille se voit compensée par le succès de cet effort solidaire et « éco-responsable ». Mention spéciale pour les six Bulgares qui, après 2000 km de voyage ont attendu cinq jours dans leur camion pour descendre à -300 puis à -600 et ressortir d’invraisemblables kits de détritus !

« Berger 2015 » sera organisé à la mémoire de Georges Garby du 1er au 10 août, avec un vrai espoir : que la pluie tombe avant… ou après… ou ailleurs !

Rémy LIMAGNE
08/12/2014

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Cascade du petit-Général à -340 m (normalement à sec), Cliché Jean Halliez

Une équipe franco-péruvienne engagée dans le secours de la Cueva de Inti Machay au Pérou

L’alerte

Le jeudi 18 septembre 2014, Nous sommes encore à Nueva Cajamarca quand nous apprenons qu’un accident est survenu à -400 m de profondeur dans une grotte près de Leymebamba (Amazonas, Pérou). La victime a fait une chute de 5 m à la suite d’une rupture d’un amarrage naturel. L’homme souffre de lésions à la colonne vertébrale et nous ne savons pas s’il a perdu l’usage de ses jambes.

Les membres de l’expédition franco-péruvienne Nueva Cajamarca 2014, organisée par le Groupe Spéléologique Bagnols Marcoule (GSBM) et l’Espeleo Club Andino (ECA) de Lima, sont prêts à intervenir. Tous se sont quittés il y a seulement quelques jours après la fin de l’expédition et décident de converger vers le lieu de l’accident au camp d’Hermoso Horizonte, près Leymebamba (fig. 1). Certains sont encore dans le Nord du Pérou et rejoignent rapidement le camp de d’altitude d’Hermoso Horizonte dans le massif de Lugar Tranquilo couvert par la Selva Alta. A plus de 3200 m, les conditions sont difficiles ; il pleut depuis plusieurs jours et le terrain est impraticable. En plus, il y fait froid et on manque de tout : eau potable, riz, sucre, café…

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fig.1 Situation de la Cueva de Inti Machay au Pérou

Dans une petite cabane (fig. 2) qui servira de QG, nous sommes accueillis par un groupe de filles très organisées de l’expédition hispano-mexicaine Inti Machay 2014. Elles ont à cœur de sortir leur camarade, Cecilio Lopez Tercero, piégé au fond du gouffre. Jean-Denis Klein, ancien conseiller technique (CT) du Gard des années 80, prend l’initiative d’organiser le secours souterrain assisté par deux membres de l’expédition Inti Machay 2014. Cette expédition, composée de deux Espagnols, de cinq Mexicains, d’une Française et d’une Italienne, avait pour principal objectif l’exploration de la Cueva de Inti Machay lorsque l’accident est survenu.

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Fig. 2 : La cabane à Hermoso Horizonte dans le massif de Lugar Tranquilo, près Leymebamba.

Les renforts

Là-haut, le site d’Hermoso Horizonte et un camp d’altitude situé à 1 h de marche de la Cueva de Inti Machay. Il est occupé par les effectifs nombreux de la police, de l’armée, des pompiers et de la Force aérienne du Pérou. En tout, beaucoup de monde d’une utilité discutable qui nous oblige à rationner notre nourriture… Car nous devons leur servir un repas par jour.

Nos collègues de l’ECA arrivent de Lima par avion, puis par hélicoptère. Ils sont accompagnés d’un médecin-pompier péruvien qui a accepté de descendre dans la grotte, bien qu’il ne soit pas spéléologue. Avec l’arrivée du reste de l’équipe, il est maintenant possible d’envisager une sortie pour remplacer l’homme qui veille Cecilio depuis deux jours au fond de la grotte. Cette grotte est en fait un « tragadero », c’est-à-dire une perte, qui descend d’abord par de petits ressauts à la profondeur de -200 m. Ensuite, la cavité accuse un profil plus vertical jusqu’à la profondeur de -400 m. Inti Machay, la « grotte du soleil » en Quechua, est équipée en première, ce qui signifie que de nombreux ressauts ou puits nécessitent des amarrages et cordes supplémentaires.

Selon le médecin, qui a examiné Cecilio, les vertèbres L2 ou L3 seraient touchées mais la moelle épinière ne l’est pas, car Cecilio Lopez Tercero peut remuer ses jambes (fig. 3). Par ailleurs, le constat des membres de l’équipe franco-péruvienne (GSBM-ECA) est sans appel : « Nous ne parviendrons jamais à sortir Cecilio seuls. Il faut une équipe d’au moins 40 spéléologues spécialisés dans les secours souterrains pour le tirer de là ».

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Fig. 3 : Le médecin-pompier de Lima au chevet de Cecilio à -400 m dans la Cueva de Inti Machay.

Bras de fer en Espagne

Pendant ce temps en Espagne, les réseaux sociaux (Facebook, etc) fonctionnent et des manifestations de spéléologues sont organisées à Madrid pour contraindre le gouvernement espagnol à envoyer des secours. Mais celui-ci répond qu’il n’a pas de lignes budgétaires pour cela. Par ailleurs, l’organisation des secours relève de l’Etat souverain : le Pérou qui n’a pas demandé l’intervention d’une aide extérieure…

Or, il se trouve que la victime, Cecilio Lopez Tercero, est membre du spéléo-secours de Madrid. Il a des amis prêts à intervenir, même s’ils doivent payer les frais de leur voyage à Lima.

Les Espagnols ont pris les choses en mains et coordonnent les secours. Bientôt, des secouristes affluent de toutes les régions d’Espagne et, par vagues successives, viennent grossir les effectifs.

Avec l’arrivée de la première vague de secouristes espagnols composée de six spéléologues très motivés, nous organisons une sortie dans la grotte. Au début, les Espagnols ne semblent pas convaincus par nos dires… Cependant, une sortie suffit pour qu’ils comprennent que leur objectif est trop ambitieux.

Un point chaud est installé à -300 (fig. 4), mais il faut renoncer à transporter le blessé de -400 à -300 m, car la pose des amarrages et des cordes prend du temps et nous ne pouvons pas rester des heures dans la cavité sans risquer un sur-accident…

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Fig. 4 : Installation des équipements et du point chaud à -300 m.

Au total, nous passons 16 h dans la grotte et Cecilio est un peu déçu de ne pas pouvoir « décoller » de -400 (fig. 5).

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Fig. 5 : Coupe schématique de la Cueva de Inti Machay (d’après Patrice Baby).

Pour l’équipe franco-péruvienne, la mission est terminée, car nous sommes intervenus sur le secours sans avoir été réquisitionnés et nous avons tous des obligations.

Nous descendons le 24 septembre 2014 dans la vallée d’Atuen pour rejoindre Leymebamba après 6 jours consacrés au premier secours spéléologique du Pérou.

Nous laissons derrière nous les équipes de secouristes espagnols qui se chargeront de faire le travail. Ce travail est très technique et les journalistes sont stupéfaits de l’apprendre. En effet, la population péruvienne, qui ignore le mot spéléologie, croit qu’il suffit de tirer sur une corde depuis l’extérieur de la grotte pour sauver Cecilio…

Fortes de 58 secouristes, les équipes espagnoles parviendront à sortir Cecilio de son piège. Après 12 jours passés sous terre, Cecilio Lopez Tercero voit enfin le jour le 30 septembre 2014 et sort sous les applaudissements de ses compatriotes et compagnons d’exploration.